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Napoléon & Empire

Mikhaïl Bogdanovitch Barclay de Tolly

Prince

Blason de Mikhaïl Bogdanovitch Barclay de Tolly (1757-1818)

Mikhaïl Bogdanovitch Barclay de Tolly (Михаи́л Богда́нович Баркла́й-де-То́лли) voit le jour dans une famille germano-balte d’origine écossaise installée à Riga [actuellement en Lettonie] depuis le XVIIe siècle. La date et le lieu exacts de sa naissance restent discutés. Pour ce qui concerne la date, la plus fréquemment citée est le 27 décembre 1761 mais il semble que ce soit en fait celle de son baptême. La ville de Tchernyakhovsk (autrefois Insterbourg) a d’ailleurs officiellement fêté le 250e anniversaire de Barclay le 25 décembre 2007. Toutefois, d’autres auteurs ont proposé, non sans arguments, de situer la venue au monde du futur prince au cours des années 1755 ou 1758. À propos du lieu, Barclay de Tolly a lui-même indiqué être né à Riga, mais la plupart de ses biographes mentionnent Pomautsch [Pamūšis] en Livonie, plus exactement dans le duché de Courlande [actuellement en Lituanie]. Cependant, certains situent plutôt l’événement dans le domaine de Lude Großhoff, près de Walk [actuellement Valka en Lettonie].

Wilhelm Barclay de Tolly, le grand père de Mikhaïl, a été maire de Riga, ville qui n’est devenue russe qu’en 1710. Son père, Weingold Gottard (russifié en Bogdan) Barclay de Tolly (1734-1781), a servi dans l’armée avant de prendre sa retraite comme lieutenant. Ce grade lui a permis d’être le premier membre de sa famille à intégrer les rangs de la noblesse russe. Sa mère, Margaretha Elisabeth von Smitten (1733-1771), est la fille d’un pasteur (d’autres sources la font naître dans une lignée de propriétaires fonciers). Ses deux parents sont germanophones.

Après avoir passé sa prime jeunesse à Bekhof, en Livonie [aujourd’hui Jõgeveste en Estonie], le petit Mikhaïl est envoyé en 1765 à Saint-Pétersbourg [Санкт-Петербу́рг]. Il y est élevé auprès de son oncle par alliance (l’époux de la soeur de sa mère), Georg Wilhelm von Vermelin, colonel de cuirassiers. Ce dernier le considère comme son fils adoptif et lui donne une excellente éducation, qui comprend la maîtrise de trois langues : l’allemand, le russe et le français.

Mikhaïl entre dans l’armée en 1776, au régiment de carabiniers de Pskov [Псков]. Ses origines relativement modestes ralentissent son avancement. Il passe cornette en 1778, puis sous-lieutenant en 1783.

En janvier 1786, il rejoint en tant que lieutenant le corps finlandais des Jaeger (chasseurs) et devient capitaine deux ans plus tard (janvier 1788).

Barclay de Tolly participe au début de la guerre russo-turque de 1787-1791 puis bascule en 1789 vers la guerre russo-suédoise de 1788-1790. Sa conduite au cours de ces deux conflits, en particulier lors de la prise d’Otchakov (1788), la bataille de Kauchany (septembre 1789) et l’assaut d’Akkerman [Bilhorod-Dnistrovskyi] (novembre 1789), lui vaut plusieurs décorations en sus de son avancement.

Le 2 septembre 1791, Barclay se marie avec sa cousine Helen Augusta Eleanor von Smitten. En fin d’année, il est promu au grade de chef de bataillon au sein du régiment de grenadiers de Saint-Pétersbourg. Il participe en 1794 à la répression du soulèvement polonais de Tadeusz Kosciuszko et la termine en tant que lieutenant-colonel du corps des Estland Jaeger. Le 18 mars 1798, il devient colonel du 4e régiment de Jaeger, dont l’excellence lui vaut bientôt d’être nommé major général (13 mars 1799).

Durant la campagne de 1805, Barclay commande une brigade de l’armée de Levin August Gottlieb Theophil (Leonty Leontyevich) von Bennigsen. Les coalisés ayant négligé d’attendre ce dernier avant d’engager la bataille d’Austerlitz, Barclay n’y participe donc pas.

Un an plus tard, en Pologne, toujours sous Bennigsen, Barclay dirige successivement l’avant-garde puis l’arrière-garde de celui-ci. À ces postes, il se distingue lors des journées de Pułtusk puis d’Eylau. Grièvement blessé au bras droit, il est soigné à Königsberg [actuellement Kaliningrad] puis à Memel [actuellement Klaipėda, en Lituanie] et profite de ce loisir forcé pour concevoir un plan d’action en cas d’invasion de la Russie par Napoléon Ier. Il y jette les bases de la stratégie qui sera suivie en 1812 et a l’occasion d’exposer ses vues au tsar Alexandre 1er qu’il rencontre à deux reprises dans la ville de Memel en avril 1807. À l’issue des hostilités, Barclay est promu lieutenant-général. On lui confie la direction de la 6e division d’infanterie.

En 1808, à l’occasion de la guerre russo-suédoise de 1808-1809, cette unité se transforme en corps expéditionnaire et se déploie en Finlande. Barclay s’y empare de la ville de Kuopio puis la conserve malgré plusieurs assauts adverses. Cependant, malade, il doit provisoirement quitter le théâtre des opérations d’août 1808 à février .

À cette date, il prend le commandement du corps Vasky (de Vaasa). Il surprend l’ennemi en réussissant à traverser le détroit de Kvarken (golfe de Botnie) sur la glace, ce qui lui permet d’occuper la ville d’Umeå, sur la côte suédoise, sans coup férir. Après de vaines négociations entre les belligérants consécutives à ce coup d’éclat, les combats reprennent. Néanmoins, le 1er avril 1809, Barclay est nommé général d’infanterie puis le 10, commandant en chef de l’armée finlandaise. Il devient enfin gouverneur général de la Finlande, après que la Suède a cédé cette province et les îles Åland à l’Empire russe par le traité de Fredrikshamn [actuellement Hamina en Finlande] du 17 septembre 1809.

Sa promotion au rang de général d’infanterie, alors qu’il ne vient qu’au 47e rang par ordre d’ancienneté parmi les lieutenants généraux, provoque plusieurs démissions. Les laissés pour compte protestent ainsi contre ce qu’ils considèrent comme un passe-droit.

Du 1er février 1810 au 5 septembre 1812, Barclay détient dans le gouvernement russe le portefeuille de la Guerre. Il en profite pour réformer les structures de l’armée. Il y introduit l’organisation par corps et l’unité de commandement au bénéfice d’un chef ne rendant compte qu’au Tsar. Son ministère prend également des mesures pour accroître les effectifs en prévision de la guerre, appelant sous les drapeaux jusqu’à deux pour cent de la population masculine. Des stocks alimentaires considérables sont constitués en vue du ravitaillement de ces troupes. La fabrication d’armes et de munitions est multipliée. Au total, la part du budget de l’état dépensée à des fins militaires pendant les années 1810-1812 avoisine les cinquante pour cent.

Le ministère de Barclay conçoit également deux plans d’action en cas de guerre avec la France : l’un offensif, l’autre défensif. Le premier prévoit d’encercler les troupes ennemies en Prusse puis de se porter rapidement sur les frontières françaises à travers l’Allemagne. Le second préconise le refus d’engagements majeurs contre les forces napoléoniennes afin de faire traîner les opérations en longueur et d’attirer l’ennemi au coeur d’un pays volontairement dévasté où il s’usera sans remède.

Le 12 avril 1812, en sus de son ministère, Barclay reçoit le commandement de la 1ère armée occidentale, basée sur la frontière ouest de l’empire russe, en Lithuanie.

Quand débute la campagne de Russie, en juin 1812, c’est la stratégie défensive, dite de la « Terre brûlée » qui s’impose par la force des choses. La puissance supérieure déployée par l’empire napoléonien interdit toute autre option. Barclay livre cependant quelques batailles d’arrière-garde, à Vitebsk, puis à Smolensk.

Cette ligne de conduite répugne à la population comme à la noblesse locale et surtout au « parti russe » de la cour. Ce dernier ne voit en Barclay qu’un « Allemand » et travaille sans relâche à sa révocation. Il présente Barclay au mieux comme un lâche, au pire comme un traître. Le prince Piotr Ivanovitch Bagration lui-même, chef de la 2e armée, ne fait bientôt plus mystère de ses désaccords avec le ministre. Il existe d’ailleurs un contentieux entre les deux hommes quant à la légitimité de la préséance de Barclay. Ce dernier agit comme le supérieur de Bagration alors que le tsar ne lui a jamais formellement octroyé le commandement en chef et que son rival se considère comme le plus ancien des deux dans leur grade.

Le 17 août 1812, ses subordonnés, appuyés par Alexandre Ier, pressent Barclay de disputer à Napoléon la ville de Smolensk. Pourtant, le général refuse à nouveau la bataille en voyant sa ligne de retraite menacée et recule une fois encore, abandonnant la cité après y avoir détruit tout ce qui pourrait servir aux Français. Mais Smolensk n’est pas une localité comme une autre. Elle tire un caractère sacré de la présence, dans la cathédrale de la Dormition, de l’une des images les plus révérées de l’Église orthodoxe russe : l’icône de la Mère-de-Dieu de Smolensk, réputée peinte par Saint-Luc en personne. La chute de la place attise à un tel point le mécontentement, chez les civils comme au sein de l’armée, que le Tsar se voit contraint d’écarter Barclay et de nommer le général Mikhaïl Illarionovitch Golenichtchev-Koutouzov commandant en chef. Le changement prend effet le 29 août.

Quelques jours plus tard, le 7 septembre, à Borodino, Koutouzov, puisqu’il a été choisi à cet effet, offre enfin à Napoléon la bataille que ce dernier cherche à provoquer depuis le début de la campagne. Barclay, qui a également perdu son ministère le 5 septembre, ne commande plus que la 1ère armée, placée à la droite et au centre du dispositif russe. Il se bat vaillamment et avec habileté, sans souci de sa sécurité. Certains le soupçonnent même d’avoir volontairement exposé sa vie, en réaction aux accusations de la société et au blâme de ses soldats, qui ont refusé de le saluer avant le combat.

Il n’en continue pas moins à défendre la poursuite de la retraite et l’abandon de Moscou lors du conseil de guerre qui a lieu à Fili, le 13 septembre . Ses lettres à sa femme attestent qu’il est totalement convaincu du bien-fondé de la stratégie qu’il a mise en oeuvre pendant toute la période où il a commandé.

Après l’abandon de Moscou, la position de Barclay devient encore plus délicate. Koutouzov et lui ne communiquent pas. Les deux hommes diffèrent trop, de caractère comme de comportement, pour parvenir à s’accorder. De plus, la réorganisation à laquelle s’est livré le nouveau général en chef aboutit en pratique à priver Barclay de son autonomie. Sa santé se dégradant, ce dernier obtient un congé et quitte l’armée le 2 octobre.

Barclay met à profit ses loisirs pour rédiger un rapport justifiant les décisions qu’il a prises pendant la durée de son commandement. En novembre, il le fait parvenir au tsar. Dans sa réponse, celui-ci entérine totalement toutes les actions du général.

Souhaitant donner plus de publicité à cette approbation impériale, Barclay se rend à Saint-Pétersbourg en vue d’obtenir une audience privée du souverain. Une telle faveur aurait pour effet de réhabiliter l’ancien ministre aux yeux de l’opinion. Malheureusement, le tsar est déjà reparti pour l’armée quand Barclay se présente. Le comportement de la tsarine Élisabeth Alexeïevna, qui l’accueille avec la plus grande affabilité, oblige cependant les courtisans à réchauffer leur attitude, d’abord glaciale.

Rappelé sur le front par une lettre d’Alexandre Ier, Barclay finit de se soigner dans son domaine de Livonie puis le quitte pour Wilna [Vilnius] au début de 1813.

Le 4 février 1813, Barclay prend le commandement de la 3e armée. Le 29 mai, il remplace Piotr Khristyanovitch Wittgenstein à la tête des forces russo-prussiennes. Lorsque l’armistice de Pleiswitz [Pielaszkowice], qui a interrompu les hostilités du 4 juin au 10 août 1813, prend fin, ces troupes sont intégrées à l’armée de Bohême du maréchal autrichien Charles-Philippe de Schwarzenberg.

À ces postes successifs, Barclay effectue les campagnes de Saxe puis de France (1814), participant aux batailles de Bautzen, de Dresde, de Kulm, de Leipzig, de la Rothière, d’Arcis-sur-Aube, de Fère-Champenoise et de Paris.

Le 10 janvier 1814, Barclay est revêtu du titre de comte héréditaire de l’empire russe. Le 30 mars suivant, il devient feld-maréchal.

Après la fin des hostilités, il accompagne son souverain dans son voyage triomphal à Londres puis reçoit le commandement de la 1ère armée, stationnée en Pologne.

Après le retour de Napoléon, Barclay et ses soldats prennent à nouveau le chemin de la France mais ils n’arrivent qu’après que la bataille de Waterloo a provoqué une nouvelle abdication de l’Empereur des Français, mettant ainsi fin aux Cent-Jours.

Barclay et ses troupes s’installent en Champagne. Le 11 septembre 1815, Barclay est élevé au rang de prince. En octobre, il quitte la France avec le Tsar et rentre en Pologne. En décembre, Alexandre Ier le reçoit solennellement à Saint-Pétersbourg. Durant toute cette période, une pluie de décorations s’abat sur Barclay, tombant des quatre coins de l’Europe monarchique. Le roi de France lui-même lui confère la Légion d’honneur.

Durant les années suivantes, Barclay continue de commander la 1ère armée depuis son quartier général de Moguilev tout en faisant paraître divers écrits de théorie militaire. En 1817, il accompagne le Tsar dans une tournée d’inspection.

Au début de l’année 1818, Barclay sollicite un congé pour aller prendre les eaux en Allemagne. Il meurt le 26 mai sur le chemin de Carlsbad, au château Shtilitzen [Zhilyaitshen], à six kilomètres environ de la ville d’Insterbourg [Tchernyakhovsk, oblast de Kaliningrad], en Prusse orientale. Le bulletin de décès impute son trépas à des calculs biliaires.

Le corps est rapatrié en Russie, à Riga, où un service funèbre solennel a lieu le 11 juin en la cathédrale Saint-Jacques. Le 25 juillet, il est inhumé dans la tombe familiale de son domaine de Beckhof [actuellement Jõgeveste, en Estonie].

"Mikhaïl Bogdanovitch Barclay de Tolly", par George Dawe (St James's, Westminster 1781 - Kentish Town 1829).

"Mikhaïl Bogdanovitch Barclay de Tolly", par George Dawe (St James's, Westminster 1781 - Kentish Town 1829).

La sépulture de Barclay a été profanée durant la Seconde Guerre mondiale, les belligérants allemands et soviétiques se disputant par ailleurs sa mémoire.

De nombreux monuments perpétuent le souvenir du maréchal Barclay de Tolly. On peut toutefois considérer que son influence sur le cours de la campagne de Russie a pendant longtemps été largement minorée au profit de celle de Koutouzov. Tous les historiens russes admettent désormais que ce dernier a persévéré dans la stratégie choisie par son prédécesseur au stade initial de la guerre. Mais les partisans de la politique de russification, au XIXe siècle, s’accommodaient mal de devoir le salut de la sainte terre russe à celui qu’ils considéraient comme un étranger. Léon Tolstoï en particulier, à travers son roman Guerre et Paix, parvint à imposer pour des décennies une vision biaisée des événements.

Toutes les dates sur cette page sont dans le calendrier grégorien (alors en avance de onze puis douze jours sur le calendrier julien en usage en Russie à cette époque).