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Napoléon & Empire

Bonaparte, précurseur de la lutte contre la drogue

L'Enfer égyptien...

L'Egypte... Une chaleur énorme... Un ravitaillement inexistant... Peu d'eau... Des tribus en perpétuelle insurrection... Des actes de terrorisme où toutes les armes sont employées... Des épidémies à répétition... Une contrée étrangère loin des proches des soldats... Le désoeuvrement... Plus le temps passe et plus le moral est bas... Autant d'éléments favorables à l'oubli dans des paradis artificiels justifiant l'absorption de substances illicites1.

... transformé en paradis par une étrange confiture

Prise d'Alexandrie, par Gaspard Gsell (1814-1904)
La prise d'Alexandrie, par Gaspard Gsell

Au cours de la campagne d'Egypte, les soldats français découvrent malheureusement le haschisch, ses mirages et ses risques2. Les médecins de la section de physique et science naturelle de l'Institut d'Egypte constatent les effets locaux ravageurs de la consommation du chanvre. Il y est mélangé à de l'opium ou à de l'hellébore. L'ensemble est présenté sous forme de confiture que les autochtones appellent le dyâsmouck (= médicament musqué), car y étaient inclus du musc, du girofle et d'autres essences3. D'ailleurs, de retour de la campagne d'Egypte en 1801, René-Nicolas Dufriche Desgenettes (1762-1837) présente pour études, à l'Académie des sciences, les premiers échantillons de haschisch jamais ramenés en France4.

Le Haschisch, un fléau endémique en Orient

Il existe une longue tradition orientale du haschisch qui déferle dans tout l'Orient, de la Syrie à l'Egypte, dès le XIème siècle. En 1378, l'émir ottoman Soudoun Scheikhouni décrète un des premiers textes de loi interdisant son usage5. Mais, la progression se poursuit vers le Maroc, puis l'Espagne où l'Inquisition, dès le XVIème siècle tente de faire barrage à l'épidémie. Le premier texte sur le sujet paru en Occident a été écrit par un médecin portugais Garcia da Orta (1500-1568). Il s'intitule Colloque des simples et a été publié en 1563. Après la mort du médecin, son corps et son livre sont malgré tout brûlés par l'Inquisition en auto da fé6.

Premières mesures anti-drogue

Constatant les dégâts causés par cette substance sur ses hommes, ayant de plus été agressé peu après son arrivée en Egypte, par un fanatique musulman en état d'ivresse cannabinique, Bonaparte a pris en conséquence la décision d'interdire l'usage de la liqueur forte faite par quelques musulmans avec une certaine herbe nommée haschisch, ainsi que celui de fumer la graine de chanvre. L'agression serait d'après Max Gallo7 survenue au moment de l'entrée à Alexandrie, le 1er juillet 1798 (Castelot8 date l'entrée à Alexandrie du 2 juillet et ne mentionne pas cet attentat. Marchioni9 affirme que Bonaparte est entré dans la nuit du 1er au 2). Un musulman aurait tiré depuis une maison sur Bonaparte à cheval qui aurait reçu la balle dans sa botte gauche. Le général n'aurait pas été blessé. L'agresseur, entouré de six fusils, a été abattu10. Tous les auteurs consultés, du moins ceux qui en parlent, font état de cet événement dans les jours qui suivent l'entrée de Bonaparte à Alexandrie.

Sous l'injonction de Bonaparte, le général en chef Abdallah Jacques Menou aurait promulgué un ordre du jour (le n° 11 ( ?)) du 17 vendémiaire an XI (9 octobre 1800). Cette ordonnance entendait mettre un terme à la consommation de haschisch et de graine de chanvre par les soldats du corps expéditionnaire11. Pour la première fois, il est fait ouvertement mention du cannabis et de ses risques dans un texte.

Art. 1. L'usage de la liqueur forte faite par quelques musulmans avec une certaine herbe forte, nommée haschischa, ainsi que celui de fumer la graine de chanvre, sont prohibés dans toute l'Egypte. Ceux qui sont accoutumés à boire cette liqueur et à fumer cette graine perdent la raison et tombent dans un violent délire qui souvent les porte à commettre des excès de tout genre.

Art. 2. La distillation de la liqueur de haschisch est prohibée dans toute l'Egypte. Les portes des cafés, des maisons publiques et particulières dans lesquelles on en distribuerait seront murées, les propriétaires arrêtés et détenus pendant trois mois dans une maison de force.

Art. 3. Toutes les balles de haschisch qui arriveraient aux douanes seront confisquées et brûlées publiquement, etc.

Une peine de prison de trois mois a donc été décidée pour tous les auteurs d'infractions à ce décret12.

Des suites tardives

En 1840, le docteur Louis Aubert Roche publie son célèbre ouvrage De la peste et du typhus d'Orient où il préconise l'emploi du haschisch comme remède médical de choix contre certaines maladies contagieuses. La première loi française, quant à elle, qui réglemente la cession des substances vénéneuses afin d'en limiter la vente, dans le but de limiter les empoisonnements, n'est votée que le 19 juillet 1845. Le 29 octobre 1846, sur arrêté royal, une classification des substances "vénéneuses" est réalisée sur un tableau unique incluant l'arsenic, l'opium et la morphine. Un premier texte aurait vu le jour en 1682 qui avait pour objectif de prévenir les empoisonnements à l'arsenic13.

Bonaparte est donc bien le précurseur en France en matière de lutte contre la drogue.

Remerciements

Cet article, à l'exception des intertitres, a été rédigé par M. Xavier Riaud, Docteur en Chirurgie Dentaire, Docteur en Epistémologie, Histoire des Sciences et des Techniques, Lauréat et membre associé national de l'Académie nationale de chirurgie dentaire, Chevalier dans l'Ordre National du Mérite, Chevalier dans l'ordre des Palmes Académiques, médaillé d'honneur de la Société napoléonienne internationale, et mis en ligne avec son aimable autorisation.

Références bibliographiques pour cette notice

  1. CASTELOT André, Bonaparte, Librairie Académique Perrin, Paris, 1967.
  2. ESCOHOTADO Antonio, Histoire générale des drogues, L'esprit frappeur (éd.), Paris, 2004.
  3. FABRE André, De grands médecins méconnus..., L'Harmattan (éd.), Collection médecine à travers les siècles, Paris, 2010.
  4. FABRE André, Haschisch, chanvre et cannabis : l'éternel retour, L'Harmattan (éd.), Collection médecine à travers les siècles, Paris, 2011.
  5. Fondation Napoléon, communication personnelle (lettre adressée au Dr Fabre André qu'il m'a gentiment faite parvenir), Paris, 2010.
  6. GALLO Max, Napoléon – Le chant du départ, Magellan (éd.), vol. 2, Paris, 1998.
  7. GANIERE Paul, Dubois Antoine (1756-1837), médecin, in Revue du Souvenir napoléonien, décembre 1988 ; 362 : 51-52.
  8. GANIERE Paul, Desgenettes, René-Nicolas (1762-1837), médecin, in Revue du Souvenir Napoléonien, https://www.napoleon.org, Fondation Napoléon, 1988, pp. 47-48.
  9. https://fr.wikipedia.org (a), Description de l'Egypte, 2010, pp. 1-6.
  10. https://fr.wikipedia.org (b), Histoire du chanvre, 2010, pp. 1-6.
  11. https://.fr.wikipedia.org (c), Prohibition des drogues, 2010, pp. 1-11.
  12. MARCHIONI J., Place à Monsieur Larrey, chirurgien de la Garde impériale, Actes Sud (éd.), Arles, 2003.
  13. RIAUD Xavier, René-Nicolas Dufriche, baron Desgenettes (1762-1837), médecin chirurgien de la Grande Armée, in The International Napoleonic Society, Montréal, 2010, https://www.napoleonicsociety.com, pp. 1-3.

Notes

  1. 01. CASTELOT, 1967
  2. 02. FABRE, 2010
  3. 03. https://fr.wikipedia.org (a), 2010
  4. 04. GANIERE, 1988 & RIAUD, 2010
  5. 05. FABRE, 2010
  6. 06. FABRE, 2010
  7. 07. GALLO, 1998
  8. 08. CASTELOT, 1967
  9. 09. MARCHIONI, 2003
  10. 10. GALLO, 1998
  11. 11. Fondation Napoléon, 2010
  12. 12. https://fr.wikipedia.org (b), 2010 ; ESCOHOTADO, 2004 ; FABRE, 2010 et 2011
  13. 13. https://fr.wikipedia.org (c), 2010